Un prof de littérature québécoise au Cégep de Victoriaville enseignait que le feu, dans les romans, est le symbole de renouveau. Dans le fond de la classe, mes yeux se remplissent d'eau. Dans ma vie aussi le feu a été renouveau. Le feu a créé une démarcation indélébile entre mon enfance et l'âge adulte.
J'avais 10 ans. Je reviens de l'école, c'est le midi. Au coin de la rue, ma cousine m'attend. Il neige. Je me fâche, elle qui va dans une école privée a eu congé, nous on risque nos vies dans cet autobus... Je lève un peu les yeux. Au fond de ma rue, à droite, des camions de pompiers. Beaucoup de camions, devant ma porte, mon chez moi. Ma cousine m'explique rapidement que ma maison a brulée. Elle m'amène chez elle, où ma tante me demande où j'aimerais aller vivre. Tout va très vite, j'ai de la difficulté à tout assimiler. Ma mère est blessée, elle est à l'hôpital, mon père à son chevet, mon chat disparut, ma sœur à l'école secondaire... Je retourne à l'école, sachant qu'à la fin des classes, je dois me rendre chez une cousine plus âgée qui a des enfants de mon âge. Au souper, on écoute les nouvelles. Une journaliste se tient devant ma maison. Elle annonce que le feu est d'origine criminel. Ma cousine ferme la télé: on en a assez entendu. Pas d'explications. Dans ma tête d'enfant, je vois des voyous qui défoncent une fenêtre de la cave et y lancent un cocktail Molotov sur ma mère, après tout elle a été brulée... Cette image se superpose à l'histoire officielle, ma mère qui allume un feu de foyer, le feu se répand, elle tente de l'éteindre et se brule. Ma tête d'enfant comprend, mais ne pose pas de questions, ça ne se tient pas. J'ai vécu un mois chez cette cousine chez qui boire un verre de lait tenait du miracle. Le lait était réservé aux céréales et aux adultes. Une cousine chargée aussi du magasinage vestimentaire, deux chandails, un pantalon, c'est bien assez quand on a tout perdu!?! Surtout pas de toutous réconfortants, ma sœur et moi sommes assez vieilles. Durant ce mois, je ne me souviens pratiquement que des couchés où je dormais dans la chambre de ma meilleure amie. Puis vient Noël. Ma mère étant toujours à l'hôpital, on va la visiter avec mon père. On échange des cadeaux sur les draps blancs de son lit. On échange aussi des confidences. Le feu est le résultat du mal de vivre de la mère, on appelle ça une tentative de suicide. Ma mère a voulu mourir. On part, il ne faut pas être en retard. Mon père nous amène à l'autobus voyageur. On embarque. On doit aller fêter Noël dans la joie familiale, loin du malheur. Mon père et ma mère demeure, pendant qu'on va rejoindre oncles et tantes à Montréal. C'était mon premier voyage sans adulte. Après Noël, mon père a trouvé un appartement dans lequel on a emménagés. Mon père passait ses soirées à la maison, où il reconstruisait notre nid. Il amenait quotidiennement des objets souillés que nous devions nettoyer au Fantastik. Cette odeur de suie, mêlée d'ammoniaque, encore aujourd'hui, fait circuler le sang dans mes veines à une vitesse vertigineuse. Comme mon père travaillait le jour et reconstruisait le soir, nous étions, ma sœur et moi, celles qui tenaient maison. Je pelais les patates au téléphone, en faisant mes devoirs. Ma sœur signait mes récitations. Ma sœur et moi avons cinq années qui nous séparent, entre dix et quinze ans, il y a tout un monde! Nous étions ennemies, avons alors compris que si nous ne nous allions pas, nous aurions aucun allier. Ma sœur est vite devenue une complice. Le feu faisant en sorte que personne ne pouvait m'amener à mes cours de ballet, j'ai été inscrire aux scouts où ma cousine allait déjà, on ferait un pierre deux coups. En février, ma mère a commencé à obtenir des congés de l'hôpital. Elle dormait beaucoup. En juin, on retournait vivre dans notre maison, nouvellement rénovée. Un nouveau chat a remplacé l'ancien, même chose pour tout ce qui faisait alors partie de mon monde matériel.
Le feu a été symbole de renouveau. À 10 ans, je n'étais plus une enfant, j'étais une adulte, sans droit de vote, sans reconnaissance, mais une adulte quand même. Pour moi, il est encore difficile de prononcer l'expression "feu de joie".
samedi 22 septembre 2007
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